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Devine qui vient dîner ?

Guess who's coming to dinner?

 

Martin Stensen finit de préparer la soupe aux pois dans son petit appartement du sud de Stockholm. Lina Makso, ingénieure des eaux, son fils Georges, 21 ans, et une de ses amies, Hiba, 19 ans, attendent à table. Ils viennent d'arriver par le métro et ne connaissent pas le jeune Suédois qui les reçoit. Dans l'école où ces trois réfugiés syriens originaires d'Alep apprennent le suédois, ils avaient juste rempli un petit papier du "ministère des invitations" et s'étaient déclarés volontaires pour aller dîner chez un habitant de leur pays d'accueil, qui lui-même avait offert de recevoir des immigrés.

Dans un coin de la cuisine, Ebba Akerman, à l'origine de ce "ministère", observe Martin et ses convives. Depuis qu'elle a lancé ce concept, en février dernier, une soixantaine de repas ont été organisés. Et les candidats "ambassadeurs de dîners" sont de plus en plus nombreux. Ebba Akerman, enseignante dans un organisme public qui offre des cours gratuits de suédois aux immigrés et aux réfugiés, s'est souvenue qu'au cours de ses voyages il lui arrivait d'être invitée chez des gens du cru. "Mes élèves parlaient très peu suédois en dehors des cours. Ils m'invitaient à manger chez eux, mais j'ai voulu qu'ils aient d'autres amis suédois que moi." L'idée est née, elle en parle à ses amis, parmi lesquels Martin Stensen.

Chez ce dernier, la glace est vite rompue. "Ta maison est chaude", commence Lina. "C'est sympa que vous ayez pu venir", répond son hôte en servant sa soupe. "Le train était en retard", poursuit Lina. "Soupe de pois et gaufres, c'est le repas traditionnel du jeudi en Suède", indique Martin Stensen. La soupe de pois, Lina y touchera à peine. Elle a d'autres questions en tête. "Tu vas te marier avec Martin ?", demande-t-elle à Ebba. "Si ça doit arriver, tu le sauras", rigole Ebba. "Je crois que la Suède compte le plus de célibataires en Europe. Ils aiment être seuls ?", s'interroge Hiba.

Les sujets de conversation défilent. La politique, la difficulté de faire reconnaître ses diplômes, le gaspillage d'argent du système de formation suédois, les problèmes de logement. Lina se désole. En Syrie, elle était ingénieure des eaux, professeure à l'université. Aujourd'hui, elle a appris à se présenter et à préparer un CV. "Tout le monde me dit qu'il n'y a pas de travail et que je devrais aller à Kiruna, en Laponie, dit-elle. Je vais peut-être me former pour être professeure de maths." En Suède, le chômage des étrangers est 2,5 fois supérieur à celui des Suédois. Le patronat se plaint que les compétences des nouveaux arrivants ne soient pas assez valorisées. Les partis politiques aussi. Mais les courbes ne bougent pas. "Parce qu'on vient d'arriver en Suède, les Suédois ne nous aiment pas, dit Georges, catégorique. Ils trouvent qu'on coûte de l'argent et, comme on vient de pays arabes, ils demandent si on a été à l'école. Qu'est-ce qu'ils s'imaginent, qu'il n'y a pas d'écoles là-bas ?", s'énerve l'étudiant en médecine. Elle aussi veut étudier la médecine. Mais il leur faudra plusieurs années à travers la jungle des équivalences et des compléments de formation pour espérer démarrer les études de leurs rêves.

Les trois Syriens sont arrivés depuis un an à peine, après un long périple à travers le Liban et la Turquie. Ils se débrouillent déjà bien en suédois. Comme tous les réfugiés syriens arrivant en Suède, ils bénéficient, depuis une décision du Parlement votée il y a an, d'un permis de séjour permanent. Ils peuvent donc voter aux élections municipales et régionales. "Mais je ne voterai pas, dit Georges. On sait trop peu de choses sur les partis." "Mais tu peux au moins mettre un bulletin blanc, lui répond Ebba, ça montre que tu veux voter, c'est mieux que de ne pas voter du tout."