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La Jeune Rue n'est pas encore née

La Jeune Rue hasn't been born yet

 

Fromagerie, épicerie, pâtisserie, restaurant, boucherie et... un cinéma

C'est l'un des projets les plus fous à Paris qui se cache derrière des vitres voilées de blanc. Suite à l'achat par un millionnaire français, Cédric Naudon, de 36 adresses à Paris, toutes situées dans trois rues voisines, la rue Notre-Dame-de-Nazareth, la rue Volta et la rue du Vertbois, un quartier entier est en travaux, prêt à revivre d'ici un mois ou deux. Dans le Haut-Marais, entre Arts et Métiers au sud et Strasbourg-Saint-Denis au nord, les habitants vont voir éclore des commerces dédiés à la gastronomie et à la culture : restaurant, épicerie, pâtisserie, boucherie, street food, marché couvert, poissonnerie et même une galerie d'art, un concept-store et un cinéma en partenariat avec MK2. Un village dans la ville en quelque sorte, pour lequel l'homme d'affaires a déboursé environ 10,5 millions d'euros (une somme assez modeste pour l'envergure du projet), soit un tiers de l'investissement global, partagé avec des banques. 

Pour chacune de ces boutiques, le mot d'ordre est le respect de l'environnement et la qualité des produits, le tout dans des espaces designés par de grands noms venus du monde entier, sans qu'on sache encore à quel tarif il faudra payer tout ça. « Au juste prix », promet Cédric Naudon. Pour l'instant, le promeneur aperçoit surtout des vitres pudiquement blanchies, hormis le restaurant Anahi, déjà ouvert.

Pour l’instant la rue est très calme constate Jean-Pierre, un retraité qui a grandi dans la rue Volta durant les années 1940 et 1950, avant d'habiter à Champs-sur-Marne puis en Vendée. Avec sa femme Nicole, il est revenu aujourd'hui sur les lieux de son enfance, sorte de pèlerinage nostalgique qui le laisse perplexe. « C'est triste de voir comme ça a changé, constate-t-il, la mine déconfite. Avant, ça grouillait de monde. Ici, il y avait un bougnat qui accueillait plein de monde, là une maroquinerie et à l'angle plus loin un café très connu et populaire. Ah, et il y avait une boucherie chevaline au bout de la rue. Maintenant, ça paraît si vide. » On apprend au couple quel projet attend de voir le jour dans ces rues. Ils sont sceptiques. « Ça risque d'être cher... pense tout haut Jean-Pierre. De toute façon, les loyers sont trop élevés pour que ce soit un quartier populaire comme autrefois, mais du coup, ce n'est plus du tout vivant, ça n'a plus rien à voir avec le quartier que j'ai connu, hélas. »

Même son de cloche chez un ancien commerçant de la rue Notre-Dame-de-Nazareth, Dalal, qui nous regarde, interloqué, en train de photographier des boutiques vides. « Il n'y a plus de commerces, ici, c'est fini ! s'emporte-t-il. Quand un magasin ouvre, il ferme au bout de deux mois et un autre le remplace parfois, mais pas longtemps. J'ai 75 ans et je peux vous dire qu'avant c'était autre chose dans la rue ! Mais un jour, ils ont allongé les trottoirs, alors impossible de décharger la marchandise en camion comme avant. La rue s'est dégradée, Paris, c'est fini, la France, c'est fini. » On comprend vite qu'en cinquante ans à peine, la mondialisation, la gentrification des quartiers populaires et les inégalités croissantes ont bousculé les habitudes de certains habitants de Paris ou d'ailleurs, qui regrettent - parfois à juste titre - un Paris d'antan, populaire, dynamique, mais aussi déformé par l'âge et la nostalgie. Pas sûr que la Jeune Rue, si elle existe un jour, puisse changer ce sentiment.

Par Emmanuel Chirache

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