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La romancière britannique Ruth Rendell est morte

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Née en 1930, élevée au rang de baronne de l'empire par Tony Blair, en 1997, membre de la chambre des Lords, cette écrivaine a régné pendant plusieurs décennies sur la littérature policière anglaise, et pas seulement en raison des chiffres astronomiques de ses ventes. Avec P.D. James, disparue le 27 novembre 2014, Ruth Rendell a largement contribué à renouveler le genre, en introduisant une part importante de psychologie et de contexte social dans ses récits réglés comme des mécaniques de haute précision.

Imagination spectaculaire

De sensibilité travailliste, elle a exploré des milieux très divers par le truchement de son personnage récurrent, l'inspecteur Reginald Wexford, apparu dès son premier livre (Un amour importun, 1964). Pour elle, les romans pouvaient contribuer à changer le monde, en attirant l'attention sur les maux de la société, le racisme ou la drogue par exemple. Elle a aussi fait preuve d'une imagination spectaculaire, qui lui permettait de renouveler presque à l'infini le contenu de ses intrigues. L'imagination est d'ailleurs ce qui l'avait dirigée vers le roman, elle qui avait commencé sa carrière comme journaliste.

Un jour qu'elle devait couvrir la réunion du club de tennis local pour le Chigwell Times, obscur journal de l'Essex, elle rédigea un vibrant compte rendu. Malheureusement pour elle, et heureusement pour ses futurs lecteurs, elle n'avait pas mis les pieds au club. Elle ne pouvait donc pas deviner que son président mourrait ce jour-là, en pleine séance, ce qui ne figurait évidemment pas dans son article. Renvoyée, la jeune femme (elle avait 18 ans), s'en fut proposer à un éditeur londonien un roman psychologique, refusé, puis un polar qu'elle avait dans un tiroir : accepté.

La part psychologique

Grande lectrice de Freud, Ruth Rendell n'en a pas pour autant renoncé à la psychologie. A telle enseigne qu'une partie non négligeable de sa production – sans doute littérairement la plus intéressante – entre dans la catégorie du roman psychologique à suspense plutôt que du polar à proprement parler. C'est le cas de l'envoûtant Véra va mourir (1986), ou de L'Eté de Trapellune (1988), hanté par les désirs de liberté des années 1970. C'est encore le cas, du Journal d'Asta (1993), inspiré de l'enfance danoise d'une de ses grands-mères, ou des Noces de feu, en 1994, des livres parus en Angleterre sous le pseudonyme de Barbara Vine, puis en français chez Calmann-Lévy.

L'ombre du mensonge, des secrets de famille, des identités tortueuses, du dérangement mental et de la peur qu'il engendre font également partie de livres plus récents, parus en France aux éditions des Deux Terres, notamment La Maison du lys tigré, en 2012. Comme Pascal Thomas, qui vient de porter ce film à l'écran sous le titre Valentin Valentin (janvier 2015), de nombreux réalisateurs ont adapté des romans de Ruth Rendell. Pedro Almodovar, Claude Miller, Claude Chabrol par deux fois (La Cérémonie et La Demoiselle d'honneur) et plus récemment, François Ozon (Une nouvelle amie, 2014) ont trouvé leur inspiration dans l'univers délicieusement inquiétant de cette extraordinaire architecte du mystère.

Et de la Suisse ......

Si coquette qu’elle avait oublié de vieillir, Ruth Rendell camouflait son âge avec une effronterie de collégienne. A 85 ans, la vénérable romancière semblait plutôt porter une soixantaine allègre. Dans le coma depuis quelques jours après une attaque cérébrale, elle est décédée samedi.

Avec la régularité de la pendule Big Ben du Londres qu’elle n’avait jamais déserté, cette fille d’enseignant publiait depuis un demi-siècle un roman tous les dix-huit mois. La même discipline forgeait son quotidien: levée le matin à six heures, elle prenait un breakfast d’ascète, exécutait un vigoureux programme de gymnastique, puis s’enchaînait trois heures à sa machine à écrire.

Ses semaines étaient encore rythmées par ses déplacements au Parlement: quarante minutes de marche depuis sa maison bourgeoise de quatre étages en plein Regent Street, puis le métro, histoire d’observer ses contemporains. Les petites manies des gens, saisies au fil des révolutions technologiques, tissaient ensuite le décor d’intrigues psychologiques soignées. Face à ses pairs, et notamment sa vieille amie P. D. James, décédée en décembre dernier, la militante travailliste se disait alors prête à la bataille. Alliées, la baronne James de Holland Park et la baronne Rendell de Babergh ferraillaient dur pour les droits des femmes et des enfants.

«Je me moque de marquer la postérité. A moins d’être Shakespeare ou Milton, personne ne dure au-delà des siècles»

Au Guardian, Ruth Rendell, auteur de près de 80 best-sellers tirés à 20 millions d’exemplaires de par le monde, confia un jour: «Fière de quoi? Je ne donne pas dans l’orgueil, ce travers si déplaisant. Même si j’avoue apprécier d’être sélectionnée lors de prix littéraires, même si j’adore ce cirque de la notoriété. Je me moque de marquer la postérité. A moins d’être Shakespeare ou Milton, personne ne dure au-delà des siècles. En ce qui me concerne, cela me semble désespéré!»

Au-delà de sa coquetterie légendaire, Ruth Rendell, brillante et intuitive sociologue de son époque, possédait une lucidité redoutable. C’est d’ailleurs cette froide sagacité qui donne à ses romans une ampleur particulière, soufflant le vent des révoltes contre l’injustice au quotidien. Violence domestique, pratiques sexistes ou homophobes balafraient des intrigues hyperdocumentées en laissant des cicatrices profondes.

En 1964, Ruth Rendell, jeune maman trentenaire, ex-journaliste au foyer, s’ennuie. Elle se lance dans le polar, créant l’inspecteur en chef Wexford à l’image de son père pour le gabarit physique. Elle lui colle néanmoins ses idées, plus libérales, tolérantes et audacieuses que celles de son paternel. Ce flic qu’elle ne pensait pas voir perdurer, donnait encore de ses nouvelles il y a deux ans. Sous le héros calibré couvent de belles colères, une évolution sensible. Un peu à la manière de la vie privée de Ruth Rendell, si sage en apparence, mais assez tempétueuse pour que la demoiselle divorce de son époux dans les années septante, puis se remarie avec lui, jusqu’à sa mort, en 1999.

Ce tempérament excentrique qui bruisse sous la carapace distinguée trouve une parfaite adéquation sur grand écran: des cinéastes aussi différents que Claude Chabrol, Pedro Almodóvar ou Claude Miller trouvent dans son écriture matière à sublimer leur propre style. Hormis la forte dimension psychologique, rien, ou très peu, ne rapprocheLa cérémonie d’En chair et en os, ou de Betty Fischer et autres histoires, trois films au demeurant magnifiques. Il y a quelques mois, François Ozon s’emparait à son tour d’une de ses œuvres, Une nouvelle amie et son «twist» sexuel en pleine bourgeoisie de province, donnait un éclairage d’une inédite fraîcheur sur la largeur de vista de cette Anglaise hors norme.

Autre originalité dans un corpus plutôt classique, l’usage d’un pseudonyme, Barbara Vine, que shocking!, ses éditeurs français n’hésitaient pas à transgresser. La millionnaire, sacrée de tous les honneurs inimaginables, du Edgar au Gold Dagger, ne s’en troublait guère: ses écrits, signés de l’un ou l’autre patronyme, restaient dans la même veine. De sa longue carrière, la marathonienne de la littérature policière avouait ne retenir qu’un crime de lèse-majesté, quand «une personnalité très célèbre» détesta tant son livre qu‘elle le balança par la fenêtre de son taxi. Elle refusait de révéler l’identité du cuistre. Ruth Rendell gardera son secret outre-tombe.