En 1900, le père du « plus économique des moteurs à pétrole » ne se doutait pas que son invention serait, plus d’un siècle plus tard, à l’origine d’un scandale industriel…
On peut raisonnablement exclure qu’Anne Hidalgo inaugure un jour une avenue Rudolf Diesel dans la capitale. L’inventeur du moteur si controversé, en particulier depuis que l’affaire Volkswagen a éclaté, est pourtant né à Paris en 1858 de parents immigrés allemands. Les innovations de M. Diesel ne méritent pas non plus d’être voué aux gémonies. L’essor de la petite industrie, au début du XXe siècle, mais aussi celui des transports ferroviaires et maritimes, doit beaucoup à cet inventeur à l’altruisme prononcé. Et qui, faut-il préciser à l’intention des âmes sensibles, n’a jamais vu rouler la moindre voiture alimentée au gazole…
Le 28 février 1892, lorsqu’il dépose devant l’Office impérial de Berlin le brevet d’un moteur dont la pression de fonctionnement est assez élevée pour que l’allumage s’effectue spontanément, Rudolf Diesel est bien loin de penser à l’industrie automobile naissante. Pour cet ancien élève formé à l’Ecole supérieure technique de Munich, son invention doit œuvrer à la « décentralisation industrielle ». Autrement dit, remplacer les énormes chaudières à vapeur qui, outre qu’elles explosent régulièrement et sont réservées aux grandes usines, souffrent d’un rendement très faible, de l’ordre de 10 %. Cette technologie nouvelle au moins trois fois plus « efficiente » pollue certes allégrement – mais personne, alors, ne s’en soucie vraiment – quoique beaucoup moins que le charbon, autre énergie fossile.
Primé lors de l’Exposition universelle de Paris
Le premier moteur de l’ingénieur Diesel est implanté dans une fabrique d’allumettes de Bavière. Les suivants vont alimenter des groupes électrogènes ou permettront à de petites entreprises de moderniser leur production. La deuxième révolution industrielle est en marche. Célébré par la communauté scientifique, le créateur du « plus économique des moteurs à pétrole » décroche même en 1900 le Grand Prix de l’Exposition universelle de Paris. Mais l’inventeur, qui a fait fortune en peu de temps, n’a pas le sens des affaires. La Compagnie d’Augsbourg, qu’il avait constituée, finit par cesser son activité.
Dès lors, Rudolf Diesel va voir son invention lui échapper. Ses moteurs, qui tournent lentement mais comme une horloge, font fonctionner des centrales électriques, des usines, des péniches, des navires de la marine marchande mais aussi des sous-marins, ce qui lui déplaît beaucoup. Pas vraiment militariste et peu enclin à collaborer avec Bismarck, Rudolf Diesel se pose en philanthrope. Il publie en 1903 un livre dans lequel il fait l’éloge du « solidarisme », un système dans lequel une « Caisse du peuple » finance des « ruches », petites entreprises qui verseront des prestations sociales.
Une disparition en mer mystérieuse
Psychologiquement fragile, Diesel sombre dans la dépression et dilapide sa fortune en placements mal inspirés. Alors que la tension militaire monte en Europe, il accepte de répondre à l’invitation de la Royal Navy, très intéressée par ses connaissances mécaniques, et s’embarque à Anvers à destination de l’Angleterre. Le 30 septembre 1913 au matin, lorsque le steamer Dresden accoste sur les côtes anglaises, Rudolf Diesel manque à l’appel. Son corps sera repêché un mois plus tard sur une plage belge. S’est-il suicidé ou a-t-il, comme certains le prétendent, été jeté par-dessus bord par des hommes de main de Guillaume II ? Mystère…
Après la guerre, le moteur Diesel va perdre son D majuscule et progressivement monter en régime. Le moteur à gazole s’installe au cœur des locomotives dans les années 1930 et sous le capot d’une voiture de série, la Mercedes 260 D, en 1936. Les constructeurs automobiles ne feront massivement appel à cette motorisation que sur le tard. Il faudra ainsi attendre 1959 pour que L’Argus de l’automobile s’exclame : « L’essence est trop chère, vive le diesel ! », à la sortie de la première Peugeot 403 carburant au gasoil, qui sera adoptée par les chauffeurs de taxis. Dans les années 2000, le diesel ira jusqu’à représenter les trois quarts des ventes de voitures neuves en France. Un emballement qui ne colle pas vraiment à l’état d’esprit initial de ce cher M. Diesel.