« Mourir pour une voiture, ce n’est pas possible », se lamente un habitant alors que les tuyaux jaunes des pompiers renvoient sur le boulevard l’eau pompée à gros débit dans les sous-sols. Un homme en t-shirt bleu sanglote, inconsolable :« Pourquoi ils sont morts ? » À plusieurs reprises, un véhicule des pompes funèbres emporte un corps enveloppé dans un sac en plastique blanc.
L’eau s’est engouffrée dans les garages
4 personnes sont mortes aux résidences du Lavandin, 3 autres, quelques dizaines de mètres plus loin, au Domaine du Cap Vert. « Les corps ont été retrouvés flottant près des sorties des parkings », indique Henri Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, présent sur les lieux. L’élu évoque deux vagues entre 20 heures et 21 h 45 qui se sont « engouffrées dans les garages » alors que le Riou de l’Argentière a vu, samedi soir, son débit monter à 195 mètres cubes par seconde. Dimanche, ses eaux boueuses avaient retrouvé leur lit, coulant huit mètres en contrebas des jardins. « Cet épisode est apocalyptique, on n’a jamais vu cela », résume le maire.
Assise dans son jardinet au rez-de-chaussée du bâtiment des Caravelles, Francine confie sa peur. « C’est monté en dix minutes, l’eau a fait exploser les vitres de la véranda. ça faisait énormément de bruit. C’est venu par vagues, comme un raz-de-marée, fort, brusquement. » Avec de l’eau à la taille, l’octogénaire a été secourue par des pompiers et des voisins. Comme tous les sinistrés, elle montre un amas d’objets souillés de boue : « Tout un tas de souvenirs qu’on a acheté mon mari et moi. » Une de ses voisines habitant elle aussi un rez-de-chaussée répète : « On n’a plus de voiture, on n’a plus de maison. On a tout perdu. Il y a 10 centimètres de boue partout, si ce n’est pas plus. J’ai marché sur la télé sans même m’en rendre compte. C’est Tchernobyl. »
« Il n’y a pas eu de lâcher de barrage »
Une telle violence des eaux surprend les habitants les plus anciens. « Chaque fois qu’il pleut beaucoup, explique une femme, on sort les voitures car les garages mouillent. Mais cette fois, il s’est passé quelque chose d’autre. Vous croyez vraiment que la pluie, même forte, déplace tous les véhicules, les mette les uns sur les autres ? »
A l’entrée de la résidence voisine du Lavandin, Sandro affirme que « la vague est arrivée alors qu’il ne pleuvait plus ». Et une grande partie des habitants a rapidement soupçonné un lâcher de barrage. Le barrage de Saint-Cassien dans le massif du Tanneron qui surplombe la commune ? « C’est faux, assure le maire. Il n’y a pas eu de lâcher, le lac de Saint-Cassien n’a pas débordé mais le Riou de l’Argentière a vu son débit subitement quadrupler, quintupler. » Les habitants se remémorent des crues du cours d’eau qui n’ont jamais provoqué un tel drame. Des enrochements sur les berges attestent d’anciens travaux d’endiguement. D’autres sont programmés en 2016 et 2017, selon le maire et un Programme d’actions et de prévention des inondations (PAPI) en préparation doit êtrerapidement mis en œuvre.
Solidarité et héroïsme
Sur le boulevard de la Tavernière, le bilan aurait pu être encore plus lourd sans la solidarité, l’héroïsme de certains habitants. À la résidence de l’Argentière, une autre copropriété sinistrée, elle aussi majoritairement habitée par des personnes âgées, Ginette Huard témoigne, depuis son lit, de son sauvetage. Un miracle, raconte-t-elle : « J’ai coulé et j’ai vu le paradis. » Avec Michel son mari, elle était descendue, « comme on le fait tout le temps, voir si les pompes marchaient bien ».
Au sous-sol, ils ont retrouvé un autre couple tentant de faire démarrer son véhicule. « Ça a monté, ça a monté d’un seul coup. » Les deux couples se sont agrippés les uns aux autres et à Jean-Luc Duhamel, un résident plus jeune qui s’est transformé en premier de cordée, luttant contre la lame qui dévalait la rampe d’accès. En se tenant à un muret, il a d’abord sorti de l’eau un couple mais Ginette et Michel avaient lâché prise. Henri Bohr, rescapé, garde en mémoire l’image de Ginette la tête coincée entre les jambes de son mari qui disait : « Si elle part, je pars aussi. » Jean-Luc Duhamel a attaché une planche de parquet à des sangles puis l’a jetée au couple en perdition. Avec d’autres habitants, depuis une terrasse surplombant la descente des parkings, il a réussi à ramener Michel et Ginette. Avec l’humilité des héros, Jean-Luc Duhamel pense que « c’est [son] instinct acquis au service militaire qui s’est subitement redéclenché ». Pour Henry et son épouse : « Ça a été une sacrée soirée. On croyait vraiment qu’on était foutus. »