La mode est un milieu en pleine mutation. Parmi ces changements, celui du statut du designer est l’un des plus notables. Des crises façon « faits divers » (la mort d’Alexander McQueen, les démêlés judiciaires de John Galliano) ont mis un frein brutal à la starification des designers. Aujourd’hui, on recrute plutôt des inconnus ou des créateurs discrets comme Alessandro Michele issu du studio de Gucci et désormais directeur artistique de la maison.
Les « monstres sacrés » sont une espèce en voie d’extinction. Ralph Lauren, 75 ans, vient d’annoncer qu’il laissait les rênes de sa maison à un nouveau directeur général, Stefan Larsson ; Giorgio Armani et Karl Lagerfeld continuent leurs règnes exceptionnels commencés au siècle dernier dans un autre contexte. Les marques sont des structures globales gigantesques. Le marketing et la stratégie d’entreprise encadrent de manière étroite la création, au point de créer des porosités. Parfois aussi, le fait que l’auteur ait son nom sur la vitrine change la donne.
Chez Chanel, le créateur est aussi célèbre que la fondatrice de la griffe. Arrivé en 1983 dans la maison, Karl Lagerfeld est un personnage public populaire et élitiste à la fois. En s’appuyant sur les codes du chic universel de Chanel (tailleur en tweed, sac matelassé, le noir et blanc, le camélia…), il met en scène des collections spectacles qui font le tour du monde. Cette saison, il reconstitue un hall d’aéroport sous la verrière du Grand Palais pour le lancement de Chanel Airlines, une ligne (aérienne et esthétique) idéale. Le show mêle éléments classiques et inventions. Les tailleurs à fermeture et coutures invisibles, matelassés au fil d’argent, croisent les grands pantalons en denim coréen, les valises trolley en cuir et les sacs classiques sont taillés dans la même matière high-tech ajourée que les tailleurs de la haute couture.
Chez Valentino, le fondateur a laissé la maison à un duo formé dans ses studios : Pier Paolo Piccioli et Maria Grazia Chiuri. Ensemble, ils ont inventé une nouvelle « grammaire » Valentino tout en conservant la sophistication imposée par le fondateur. Leur mode tient du cabinet de curiosité vestimentaire infusé de culture (artistique, politique, ésotérique) italienne, en particulier romaine. Pour la collection d’été, ils la font évoluer vers une rêverie africaine très « tribale couture ». Les robes en cuir clouté façon scarification, les compositions de plumes, dentelles et perles d’esprit massaï, les imprimés tie & dye ou frises d’art primitif transforment les mannequins en femmes totems. Quelques détails évidents (des bijoux cornes de rhinocéros, des têtes d’éléphant sur des sacs) et la multiplication des modèles (89 silhouettes) peuvent donner un côté costume au vêtement. Un risque naturel pour un style aussi savant, néanmoins destiné à des boutiques réparties sur toute la planète.
On est en apparence plus libre dans sa propre maison. La jeune Néerlandaise Iris Van Herpen crée une mode qui ne ressemble qu’à elle. Ancienne danseuse, passionnée par la biologie, la biotechnologie et le high-tech, elle propose une collection inspirée des ponts végétaux vivants d’Inde. Les vêtements aux plissés architecturaux et aux découpes laser embrassent les corps dans des formes graphiques aux textures futuristes. C’est beau et spectaculaire. Moins que l’actrice Gwendoline Christie (« Game of Thrones ») allongée au centre de la pièce, entourée de robots censés construire sa robe. Ils ne se sont pas déclenchés mais peu importe. Cette collection à part trahit la vraie nature de son auteur : Iris Van Herpen est une artiste qui devrait évoluer dans ce milieu.
Vanessa Seward, au contraire, a pour but d’habiller les femmes de la rue. Ode à la Parisienne, sa collection invoque pourtant les icônes de la jet-set américaine (Lee Radziwill, Jackie Onassis) et le style argentin de son pays natal (bijoux en argent et ceintures tressées). Robe chemise kaki, combinaison saharienne, grand manteau argent et tailleur-pantalon blanc incarnent une allure seventies chic et cosmopolite qui est celle de la créatrice. Sa voix sur la bande-son et le tee-shirt « Vanessa’s way » (la manière de Vanessa) soulignent (trop) ostensiblement cette capillarité. Si l’on ne connaît pas la personnalité ouverte et charmante de l’auteur, on risque d’y voir une poussée d’ego excluant pour la cliente. Or, la capacité des designers à incarner leur mode reste la meilleure façon de créer du lien avec le public. Ce que Vanessa Seward sait bien faire.