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Votre mission, si vous l’acceptez ? Vous enfermer durant plusieurs heures dans un habitacle étroit avec des inconnus. Et instaurer, au sein de cette microsociété éphémère, des relations humaines harmonieuses. Chaque mois, des centaines de milliers de personnes relèvent, en France, ce défi du huis clos, qui n’est pas lancé par la NASA en prévision d’un voyage vers Mars, mais par Blablacar. Elles covoiturent.
En une décennie d’existence, le site a fédéré 25 millions de membres à travers le monde, dont plusieurs millions en France, « marché le plus mature », selon l’entreprise. La petite start-up tricolore est désormais championne planétaire du covoiturage longue distance. L’entreprise fondée et dirigée par Frédéric Mazzella s’est muée en « licorne » valorisée à plus de 1 milliard de dollars.
Bien sûr, crise et précarité ont dopé cette mobilité à coûts partagés, moins onéreuse que le train, plus souple aussi, et rassurante puisque les « blablacaristes » sont autant de profils renseignés sur le Web et jaugés par leurs pairs. Bien sûr, la sensibilité écologique a fait apparaître toute l’absurdité du ballet autoroutier des voitures quasi vides, alors même que le rapport à l’automobile virait à l’utilitaire.
Un brassage social, générationnel, et culturel
Il y a bien des explications rationnelles au succès de Blablacar. Ce serait oublier une dernière composante essentielle : la convivialité. Le covoiturage, c’est deux, quatre, six heures d’un transport réellement en commun puisqu’il faut se parler. Qui commence à covoiturer pour raisons économiques continue souvent par goût. « On attrape le virus », résume Sylvie Cormouls, 44 ans, clown et professeur de yoga du rire, qui ne s’éloigne plus de son île de Ré sans embarquer des passagers. « J’ai commencé le covoiturage, j’étais en quasi-dépression, mon mari venait de me quitter. Je vais vous dire, ça m’a fait revivre. » En une centaine de voyages, depuis 2011, Sylvie est devenue prosélyte. « Je m’offre des tranches de vie. Sur le site, je me mets en mode “Acceptation automatique”, je ne choisis donc pas les gens. Toute la société monte dans ma voiture. Une symbiose se crée qui n’existe pas dans la vie réelle. »
Cette phrase, sans cesse, revient comme un étonnement dans les propos des blablacaristes réguliers : « Jamais je n’aurais rencontré ces personnes dans la vraie vie… » Car ce trajet d’en moyenne 330 kilomètres est l’occasion d’un brassage social, générationnel, et culturel. Plaisirs du hasard et de l’altérité. « On ferait les mêmes rencontres si l’on s’asseyait sur un banc, longtemps, dans la rue, raisonne Arnaud de Parade, entrepreneur, qui trouve désormais ridicule de partir seul dans sa grosse voiture. Sauf qu’on ne le fait pas, et qu’il n’y a pas tant d’espaces que cela où l’on communique. » Où le jeune apprenti marionnettiste et le patron de PME partagent les sièges avant, quand la marchande de fruits, le podologue et le pompier se tassent à l’arrière.
Dans ce melting-pot à la française, Sylviane Jourdheuil, 48 ans, plonge chaque jour en ouvrant sa portière à des inconnus. Trente-cinq kilomètres de trajet entre son domicile de Langres (Haute-Marne) à la médiathèque de Chaumont, dont elle est conservatrice. « Le covoiturage, sait-elle désormais, ce n’est pas l’auto-stop d’il y a vingt ans. Des liens se créent. En faisant se côtoyer des gens de milieux sociaux différents, on rend plus perméables les cercles. »Un jour, alors qu’elle met de la musique, le jeune homme assis à ses côtés murmure : « Cette chanson, c’est la première que j’ai entendue à ma sortie de prison. » Léger malaise… « Là, se souvient Sylviane, je me demande s’il a fait une grosse bêtise… Violé une conductrice ? En fait, il avait été condamné pour trafic de drogue, comme beaucoup de jeunes en milieu rural où l’on s’ennuie à mourir. Il m’a raconté ses difficultés, j’ai un petit réseau, il a trouvé un appartement. »
Impossible de dresser le portrait-robot des adeptes de la voiture partagée. Les jeunes pionniers ont été rejoints par leurs parents et grands-parents. La plus forte progression d’inscrits, ces cinq dernières années ? Les plus de 60 ans, certains octogénaires retrouvant ainsi une mobilité. Et l’on compte deux fois plus d’actifs, ou de cadres, que d’étudiants. L’habitacle comme précipité de la société française.
Certes, l’esprit du covoiturage s’est un brin dissous dans la monétisation du service. En 2012, le site a rendu payante la mise en relation de ses membres. La plate-forme ponctionne environ 15 % de la somme demandée par le conducteur (frais d’essence et de péage divisés par trois). Pour un Paris-Rennes, par exemple, le passager paie 24 euros, 20 au conducteur et 4 à Blablacar. Du coup, certains conducteurs ont parfois l’impression de jouer les taxis. « De transporter des jeunes qui mettent leurs écouteurs et se noient dans leur monde, des personnes âgées qui veulent être déposées au pied de chez elles », bougonne une autopartageuse de longue date.
Viviane Mae, assistante dentaire, a très mal vécu son dernier Grenoble-Vannes, en tant que passagère. « J’ai pris double dose d’huiles essentielles pour supporter. » Quatre passagers, dans une BMW, avait-elle vu sur le site. Serré mais pensable, avec de petits bagages. Sauf que le chauffeur, quinquagénaire indélicat, avait également accepté pour 50 euros de convoyer cinq lapins dans son coffre. La voilà partie, valise sur les genoux, pour un voyage de quatorze heures ponctué d’incessants arrêts pour remplacer les covoiturés arrivés à bon port. « Seul l’argent intéressait le conducteur. »
Depuis, elle s’est inscrite sur Covoiturage-libre.fr, qui met gratuitement en relation conducteurs et passagers (comme GoMore, Vadrouille-covoiturage.com, Karzoo.fr, Tribu-covoiturage.com…). Elle espère côtoyer des covoitureurs qui certes, paient leur trajet, mais demeurent plus proches de l’idéal solidaire des débuts. Le hic, c’est que l’offre est mince. Blablacar monopolise 90 % du marché du covoiturage longue distance en Europe…
Quand le coffre ne fait pas clapier, le covoiturage dope le moral. Les confidences s’y livrent en accéléré, jusqu’aux confins de la psychothérapie de groupe, parfois. Laurent Barelier, du cabinet d’études Chronos, spécialisé dans les questions de mobilité, l’explique : « C’est éphémère, puisqu’on ne se reverra pas, la plupart du temps. Tout le monde est sur un pied d’égalité, personne ne se connaissant au départ. Il y a une injonction tacite de sociabilité dans ce service collaboratif. Et l’on sort des règles sociales habituelles. » « On peut exagérer, s’inventer une vie, se libérer des masques sociaux, appuie Sylvie la clown. Je me souviens d’un Toulouse-La Rochelle. Nous étions quatre femmes en instance de divorce, avec le même juge. Les oreilles des hommes de la Terre entière ont sifflé ! C’était quasiment orgasmique tellement on a ri. »
Les stéréotypes tombent
Tant de bonheur interroge. Est-ce le filtre qu’instaure la pratique, réservée à des personnes plus ouvertes de portière et d’esprit que la moyenne des Français ? « On ne peut plus dire cela quand 40 % d’une classe d’âge covoiture, comme c’est le cas des 18-35 ans », rétorque-t-on chez Blablacar. Il y a là de quoi se réjouir. Qui voit la France de près l’apprécie, donc. Les stéréotypes tombent. Les quinquas discutent avec des jeunes plein de projets dont ils comprennent qu’ils se heurtent à des murs. Juifs et musulmans ne rejouent pas toujours l’Intifada sur la banquette arrière.
Les compagnons de voyage préférés de Noé Menuau, 19 ans, qui prend des cours de comédie à Paris ? « Les vieux ! Ils ont changé dix fois de carrière, ils ont des centaines de trucs àraconter. » Quoiqu’il ait aussi apprécié les sept heures de route avec un technicien de surface d’origine kosovar, qui lui a décrit par le menu, sur fond musical idoine, les mariages dans son pays. « Il expliquait super-bien ! C’était génial alors que ça aurait pu virer au cauchemar. »
Car l’enfer, ce peut être l’autre covoitureur. Le gars qui croit aux extraterrestres ou à la théorie du complot, et essaie de convertir son compagnon de voyage tout le long du trajet. Christiane, sa procédure de divorce, ses deux maris, ses enfants, ses chiens, pendant les six heures d’un Toulouse-Paris. Le lourdaud qui tente de séduire sa voisine d’habitacle, ostensiblement peu intéressée, dans le silence gêné des trois autres passagers… Quand un Paris-Rennes paraît plus long qu’un Terre-Mars.