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Essai sur la Résistance

Essay on the Resistance

 

"La difficile sortie d'une vision en noir et blanc"

Directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Pierre Laborie est spécialiste de l'histoire de l'opinion publique pendant la seconde guerre mondiale. Il vient de publier un bel essai, Le Chagrin et le Venin. La France sous l'Occupation. Mémoire et idées reçues (Bayard, 356 p., 21 €).

 Quelle place la Résistance occupe-t-elle aujourd'hui dans la mémoire collective ?

La Résistance incarne un idéal. Or un idéal doit être pur, il doit correspondre à l'idée mythique qu'on s'en fait. Pour incarner cet idéal, les combattants de la France libre sont les mieux placés sur le terrain de la mémoire. Ils ont pour eux la dimension chevaleresque de l'engagement. Ils bénéficient aussi de l'image rassembleuse d'un De Gaulle qui se voulait au-dessus des partis. Daniel Cordier ou Stéphane Hessel jouent à fond sur ce registre de la pureté et de l'absolu.

En face, la Résistance intérieure est moins bien armée pour défendre son image. Depuis toujours, on insiste sur le côté "guerre des chefs", on questionne le rôle exact des communistes en son sein, on s'interroge sur les trahisons et les bavures des uns et des autres. Souvenez-vous des "affaires" Moulin ou Aubrac. Dans la mémoire collective domine l'idée que la France libre a échappé à tous ces travers.

Comment définiriez-vous le rapport des Français d'aujourd'hui à la seconde guerre mondiale ?

Une vulgate assez simple s'est imposée dans le discours mémorio-médiatique depuis quarante ans. L'idée est que l'importance de la Résistance a été exagérément grossie pendant le quart de siècle qui a suivi la guerre, et qu'il a fallu attendre les années 1970, notamment le film Le Chagrin et la Pitié, de Marcel Ophuls, pour qu'on en vienne à une vision plus équilibrée des choses consistant à dire que la Résistance a été un phénomène ultraminoritaire.

"Vulgate", dites-vous ?

Oui, pour deux raisons. Ceux qui s'en prennent, depuis une quarantaine d'années, à la "légende rose" qui aurait totalement dominé de 1945 à 1970, ont un peu forcé le trait. Jamais personne n'a dit qu'il y avait eu 40 millions de résistants. Dès la guerre, cette vision unanimiste a été écornée. Or, comme ils ne pouvaient directement s'en prendre à la Résistance, les néovichystes s'en sont pris à sa légende. En 1948, un ancien député du Morbihan, l'abbé Desgranges, a par exemple dénoncé Les Crimes masqués du résistantialisme (Ed. de L'Elan) - un néologisme apparu dans une revue suisse quelque temps auparavant.

Si je parle de vulgate, c'est aussi parce que l'idée selon laquelle la Résistance a été un phénomène très marginal est liée à une vision elle-même très particulière de la Résistance. Or celle-ci doit être questionnée.

Que voulez-vous dire ?

Les résistants eux-mêmes, tellement soucieux de légitimer leur action en mettant l'accent sur la lutte armée, ont eu tendance à réduire la Résistance à sa dimension militaire. Si l'on s'en tient à cette conception, alors oui, la Résistance n'a concerné qu'une poignée d'individus. Si, en revanche, on adopte d'autres catégories d'analyse, qui touchent à la nature du phénomène et ne sont pas strictement politico-militaires, la vision que l'on a des Français de l'époque est plus nuancée. Entre la lutte armée et la passivité, voire la collaboration, il y a une multitude de petits gestes qui, si on les prend en compte dans leur expression collective, donnent l'image d'une société marquée par l'idée du non-consentement. Je suis frappé par la difficulté que nous avons, en France, à sortir d'une vision en noir et blanc de cette période.

D'où votre insistance sur la notion d'"ambivalence"...

Oui. C'est ce que j'essaie de dire depuis des années, en rappelant que le "et" a été beaucoup plus fréquent que le "ou", par exemple que l'on a pu à la fois vénérer Pétain et souhaiter la victoire des Alliés. C'est une idée qui passe encore mal auprès du grand public. C'est vrai aussi pour la Résistance : par exemple, les passeurs qui se faisaient outrageusement payer pour faire franchir la ligne de démarcation étaient-ils des mercenaires ou des résistants ? La question se pose. Senghor a admirablement résumé cela, en opposant la "voie droite" que la France aime célébrer aux "sentiers obliques" par lesquels elle chemine.

Propos recueillis par Thomas Wieder

LE MONDE DES LIVRES | 14.04.11 | 12h40  •  Mis à jour le 14.04.11 | 12h40

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