Piaf - morte il y a 50 ans.
Edith Piaf 50th anniversary of her death
Edith Piaf died 50 years ago on 10th October 1963. Allo-Cine has taken a look at some of the key moments in the film La Vie en Rose and asked the writer of her biography to comment on the "fictionized" film version of her life compared to the reality.
Click here for the full version with clips of the key moments in the film that are discussed in the article.
Click here for the song, (with words), L'accordéoniste, sung by Edith Piaf.
Edith Piaf : 50 ans après sa mort, la vérité sur "La Môme" !
A l'occasion des 50 ans de la mort d’Édith Piaf, Allociné s'est entretenu avec Robert Belleret, auteur de "Piaf, un mythe français", une biographie qui tord le cou à quelques-unes des légendes les plus ancrées à propos de la star. L'écrivain a accepté de commenter les moments clefs mis en scène dans le film "La Môme" d'Olivier Dahan.
Edith n'a pas eu une mère si indigne
La fiction dans "La Môme"
La mère d’Edith chante dans la rue. Seule un peu plus loin, la petite fille âgée d’environ trois ans pleure. Une femme la ramène vers sa génitrice en la qualifiant d'"indigne". Cette dernière s'éloigne avec son enfant qu’elle traîne brutalement et écrit une lettre à son mari qui est sur le front. Elle lui confie ne plus pouvoir s’occuper d'Edith. Afin de tenter sa chance dans le métier de chanteuse à Constantinople, elle la laissera à sa propre mère.
La réalité par Robert Belleret
"La mère d’Edith, Annetta Maillard dite Line Marsa, était bien chanteuse mais pas forcément de rue, elle s’est produite dans des cabarets et des music-halls et disposait d’un large répertoire dont j’ai retrouvé les traces. C’est plus tard qu’elle a sombré dans les addictions et la misère noire. Si elle a "abandonné" Edith très jeune, comme on le dit, celle-ci ne l’accompagnait donc pas dans les rues de Belleville. Edith bébé était gardée par sa grand-mère maternelle dont le logement était très voisin de celui des parents d’Edith.
La mère d'Edith était sans doute moins "indigne" qu’on ne l’a dit même si elle n’avait pas du tout la fibre maternelle. Elle a quand même fait baptiser sa fille à l’âge de deux ans, à Belleville, et la grand-mère, Emma, souvent décrite comme une pocharde, était sa marraine. Un extrait de baptême que je me suis procuré le prouve."
La fiction dans "La Môme"
Des années après, alors
qu'Edith est chanteuse de rue aux côtés de son amie Momone, sa mère vient lui
réclamer de l’argent.
La
réalité par Robert Belleret
"La scène est crédible car Line Marsa était alors déjà dans la mouise et "à la ramasse". Mais c’est pendant l’Occupation où elle passe d’un hospice à une prison qu’elle a lancé des appels au secours (par lettres) à sa fille devenue une grande vedette. Ces lettres sont poignantes même si Line surjoue son affection pour sa fille, elle manque de tout et réclame des colis de survie. Edith lui en fait envoyer mais elle ne lui rend jamais visite. Elle ne lui a jamais pardonné de l’avoir abandonnée ou délaissée.
Lorsque sa mère est morte d’une overdose, après la guerre, et a été retrouvée gisant entre des poubelles de Pigalle, Edith l’a fait enterrer au cimetière de Thiais et n’a jamais fait transférer sa dépouille dans le caveau familial du Père-Lachaise où reposent son père, Louis, et sa fille, Marcelle, décédée à 27 mois. La mort de sa fille qu’elle avait, à son tour, délaissée a profondément marqué Edith qui traînera ses remords (cachés) jusqu’à la fin de sa vie."
Son père s'en est débarrassé pour mener sa vie de cavaleur
La fiction dans "La Môme"
Le père d’Edith retrouve sa fille mal soignée chez sa grand-mère maternelle. Il la récupère en colère, et l’emmène en Normandie chez sa propre mère, dans une maison close. Dans cette maison, Edith est heureuse et fait la connaissance d'une jeune prostituée, Titine, qui se prend d’affection pour elle.
Plus tard, après sa démobilisation, son père l'arrache à sa nouvelle famille et l’emmène avec lui sur les routes. Au cours d'un spectacle de rue, la petite fille révèle pour la première fois des talents de chanteuse en interprétant "La Marseillaise", poussée par un public demandeur.
La réalité par Robert Belleret
"Contrairement à ce que l’on croyait jusqu’ici, le père d’Edith, Louis Gassion, n’était pas au front dans les tranchées de la Grande guerre en 1915. J’ai reconstitué son parcours militaire et il avait été réformé et vadrouillait en France. Si abandon ou délaissement il y a eu, le père est aussi responsable que la mère. C’est Louis Gassion qui a eu l’idée de mettre sa fille âgée de deux ans en pension en Normandie dans la maison close de sa mère. Une façon de s’en débarrasser pour mener sa vie de saltimbanque et de "cavaleur".
Edith n’était sûrement pas très heureuse à Bernay car sa grand-mère, Léontine dite Titine, ne l’aimait guère. Une voisine lingère qui lavait les draps de la "maison" avait des gentillesses pour elle et il est très possible que certaines pensionnaires du bordel rural l’aient prise en affection. Le personnage joué par Emmanuelle Seigner relève de l’imagination du cinéaste mais reste donc assez crédible."
"Son père reprend Edith avec lui, vers l’âge de neuf ans, pour l’emmener sur les routes, au sein d’un cirque ambulant puis en solitaire. Il fait son numéro sur les places publiques et Edith fait la quête. Non seulement elle chante (peut-être La Marseillaise mais on peut en douter, elle interprétait plutôt les succès de l’époque) mais elle a déjà un nom d’artiste : "Miss Edith, phénomène vocal". Elle était donc une chanteuse ultra précoce ce que, curieusement, elle n’a jamais confié, peut-être pour ne pas noircir son père qui, d’une certaine manière, l’exploitait.
Ce dernier était très petit (1,54 m) contrairement au personnage du film incarné par Jean-Paul Rouve. Il était un grand coureur de jupons et collectionnait les maîtresses partout où il passait. Edith en a gravement souffert. Il n’avait, de l’aveu de la chanteuse, pratiquement jamais de geste de tendresse à son égard (il ne l’aurait embrassé que deux fois dans sa vie) et lui flanquait souvent des taloches. L’acrobate n’était donc pas très sympathique mais Edith s’est raccrochée à lui parce que c’était son seul compagnon des bons et des très mauvais jours et, affectivement, son unique "re-père."
Louis Leplée, son mentor, n'a pas été assassiné dans un salon
La fiction dans "La Môme"
Louis Leplée, qui a découvert Edith dans la rue, l'a baptisée "la môme Piaf" et l'a prise sous son aile, est retrouvé mort dans un salon. La jeune artiste est d'emblée accusée d'en être "responsable". Elle est interrogée par la police dans un café pendant que la presse, présente, prend des photos.
La réalité par Robert Belleret
"Louis Leplée, prince gay des nuits parisiennes et gérant du cabaret "le Gerny’s" a effectivement découvert le talent d’Edith chanteuse de rue (mais aussi de petits cabarets et de bals populaires) et c’est bien lui qui l’a baptisée "La Môme Piaf". Il a été assassiné dans son appartement par quatre hommes qui lui ont tiré une balle dans la tête dans son lit et n’ont jamais été arrêtés.
Edith n’a pas été directement soupçonnée mais elle a été longuement interrogée par la police judiciaire (au quai des Orfèvres et non dans un café) car on suspectait les mauvais garçons de son entourage, des maquereaux et des petits truands de Pigalle."
"J’ai pu reconstituer le déroulement de l’enquête, suivie par la presse jour par jour, et cet épisode ressemble à un roman de Simenon (le commissaire qui dirigeait l’enquête a d’ailleurs inspiré le personnage de Maigret !). Albert Valette, un proxénète était effectivement l’un des amants d’Edith (alors âgée de 20 ans) et il fut l’un des principaux suspects mais il disposait d’un alibi en béton.
La relation d’Edith et de Leplée, auquel elle doit beaucoup, était quasi fusionnelle. Elle l’appelait "papa Leplée" et elle fut sincèrement chagrinée à sa mort. Elle avait aussi peur que sa carrière naissante en souffre. La découverte du meurtre a eu lieu lorsque la femme de ménage de Leplée a réussi à défaire son bâillon et une partie de ses liens et à donner l’alerte sur le palier.
Dans l’appartement rien n’avait été volé, pas même une importante somme en espèces déposée dans un tiroir… Les enquêteurs penchèrent d’abord pour une affaire de mœurs car Leplée recevait beaucoup de jeunes amants à son domicile."
Edith n'a pas aussi tôt occupé un appartement luxueux
La fiction dans "La Môme"
En plein succès, et alors qu’elle vient de renvoyer Raymond Asso, Edith Piaf choisit ses robes dans un appartement luxueux deux jours avant une première à Bobino. Elle parle de la pièce de théâtre écrite pour elle par Jean Cocteau, avec qui elle s’apprête à dîner.
Un jeune soldat demande à la voir et lui propose une chanson. Séduite, elle l’accepte et décide de la présenter pour Bobino. "Ça me sert à quoi d’être Edith Piaf, sinon ?" dit elle fièrement.
La réalité par Robert Belleret
"Piaf n’a pas viré Raymond Asso qui avait fait de la Môme Piaf, "Edith Piaf", une grande vedette programmée à l’ABC, en la vissant, en la conseillant souvent rudement et en lui écrivant un répertoire. Asso a dû s’éloigner de sa "création" quand il a été rappelé sous les drapeaux en août 1939. Edith s’est vite consolée avec Paul Meurisse alors obscur fantaisiste de cabaret qu’elle poussa dans la lumière.
A cette époque, Edith n’occupait pas alors un appartement luxueux mais un petit hôtel de Montmartre puis un appartement sombre en rez-de-chaussée, proche de l’Etoile. En rencontrant Cocteau, ce fut un coup de foudre réciproque et le "Prince des poètes" écrivit pour elle "Le Bel indifférent", pièce en un acte en forme de monologue."
"La visite de Michel Emer s’est déroulée comme dans le film. Il était bien caporal et en uniforme. Elle lui a accordé dix minutes et elle a été emballée par sa chanson l’Accordéoniste qu’elle a créée le lendemain au cabaret L’Amiral (avant Bobino)."
Edith Piaf était sur le point de rompre avec Marcel Cerdan
La fiction dans "La Môme"
La rencontre avec Marcel Cerdan se fait dans un bar. On apprend qu’il l’a contactée en lui donnant rendez-vous et lui précisant : "Nous sommes deux français aux Etats Unis, dînons ensemble". Au cours de ce dîner, Edith est d’emblée séduite. Elle l’emmène dans un restaurant de luxe la même soirée.
Leur relation est dépeinte dans le film de façon idyllique. Il est son seul amour véritable, elle l’aime plus que tout et tous. Elle laissera même son inséparable Simone Bertaud (Momone) mettre fin à leur amitié, au nom de son amour pour Cerdan. Elle ne se remettra jamais de sa mort.
La réalité par Robert Belleret
"Leur rencontre s’est passée dans un restaurant de la banlieue de New York, dans des circonstances que je détaille, et ils devinrent immédiatement amants -dès octobre 1947 et non au printemps 1948- comme on le disait. Leur amour fut intense, certes, mais c’est évidemment loin d’être le seul grand amour de sa vie."
"Après sa mort dans une catastrophe aérienne, Edith a été effondrée mais quelques mois plus tard elle commençait une nouvelle relation amoureuse (avec Tony Raynaud) et elle eut une passion physique encore plus grande avec le champion cycliste Toto Gérardin. Cerdan et Piaf étaient deux stars, dans des univers différents, et les médias qui ont caché ce qu’ils savaient (en évoquant longtemps une "belle amitié") ont ensuite mythifié cette histoire."
"Edith traitait Marcel comme un "grand gosse" et avait entrepris de l’éduquer mais elle avait fini par comprendre qu’elle ne serait jamais que sa maîtresse, plus ou moins clandestine, et qu’il n’abandonnerait pas pour elle son épouse et ses trois enfants ni sa vie à Casablanca. Si la mort ne les avait pas séparés, je révèle qu’elle était sur le point de rompre.
La mort de Cerdan l’a secouée et elle a commencé à souffrir de rhumatismes articulaires (liés ou non au choc émotionnel ?) qui l’ont contrainte à prendre de la morphine puis à en abuser (notamment après ses trois accidents de voiture). Mais le jour de sa mort, elle a quand même décidé d’assurer son tour de chant. Elle était très égotiste et la chanson était sa passion suprême. Elle sacrifiait tout, y compris sa trentaine d’amants célèbres (sans compter les inconnus) à sa carrière. "
Ce n'était pas une vieillarde défigurée, voutée et chancelante
La fiction dans "La Môme"
Plusieurs flashbacks mettent en scène Edith à différents moments de sa vie après la mort de Marcel Cerdan. Elle s’écroule sur scène en chantant "Padam padam", elle est vieillie, peu à peu bossue, dans un fauteuil seule et souffre d’une addiction aux injections.
La réalité par Robert Belleret
"La décrépitude est venue bien après la mort de Cerdan, vers le milieu des années 1950, avec une incroyable série de cures de désintoxication (morphine et/ou alcool), de malaises, de comas, d’accidents, d’hospitalisations, d’opérations chirurgicales, de répits, de rechutes, d’excès en tous genres. Toute la presse suivait alors son état de santé, quasiment au jour le jour.
Sur ce plan, le film noircit le trait en la présentant dans de longues séquences comme une vieillarde défigurée, voutée et chancelante. Malgré ses problèmes et ses souffrances, elle resta longtemps rayonnante de vie, de fantaisie, de drôlerie et ce n’est qu’au cours des trois dernières années de sa vie, vers 1960, qu’elle est devenue presque méconnaissable, perdant ses cheveux et tenant la scène à grand renfort de médicaments qui ont fini par la tuer."
"La création de Marion Cotillard relève de la performance d’artiste mais donne, à mon avis, une image (trop) terrible de l’immense artiste qui envoûtait son public. Elle n’a jamais été une droguée au sens commun du terme mais, malgré elle, elle s’est retrouvée en manque c'est-à-dire "accro"."
La fiction dans "La Môme"
Bossue, se déplaçant avec difficulté, Edith Piaf est au plus mal. Son entourage (dont Louis Barrier) s’inquiète. On lui présente Charles Dumont compositeur et Michel Vaucaire parolier pour le célèbre "Non, je ne regrette rien"."C’est ma vie", dit elle bouleversée. " Vous êtes exactement ce que j’attendais." Lors de son retour à l'Olympia avec ce titre, elle revoit Raymond Asso. Tous ses amis sont là.
La réalité par Robert Belleret
"La séquence concernant Charles Dumont correspond largement à la réalité. Edith était au plus mal, sur tous les plans lorsque Vaucaire et Dumont sont venus lui proposer "Non, je ne regrette rien". Elle qui ne supportait pas Dumont auquel elle avait refusé plusieurs chansons s’en est entichée et il est devenu irremplaçable, composant une trentaine de chansons pour elle. Du coup Marguerite Monnot, sa fidèle compositrice (à l'immense talent !) et amie s’est trouvée rejetée dans l’ombre.
Avec "Non, je ne regrette rien", Piaf est effectivement repartie à zéro… pour trois ans, avant de succomber à 47 ans. Raymond Asso n’était pas présent à l’Olympia ce soir-là mais lors des premières, on retrouvait au parterre tous se amis, le Tout Paris et bien au-delà : Michèle Morgan, Alain Delon et Romy Schneider, Jean-Paul Belmondo, Arletty, Dalida, Georges Brassens, Michel Simon, Mouloudji, Claude Chabrol, Marlene Dietrich, etc. et même Paul Newman, Duke Ellington et Louis Armstrong !"
Elle était une vraie rock star avant la lettre
La fiction dans "La Môme"
Sur la plage, Edith Piaf est sereine. Loin de Paris, elle donne une interview. Elle répond du tac au tac évoquant ses goûts, sa philosophie. Elle aime le bleu, le bœuf ficelle, vit avec sagesse, tricote "pour qui voudra porter ce pull" et n’a qu’un conseil à donner : "aimer".
La vérité par Robert Belleret
"C’est vrai qu’Edith adorait tricoter et passait plus d’heures avec ses aiguilles que devant des livres (elle se contentait de picorer dans les bouquins qu’on lui conseillait mais elle s’est quand même légèrement cultivée au fil du temps). La plage en question est celle de Malibu (Californie) où elle a pris ses seules vraies grandes vacances à cause d’un contrat annulé (mais payé) à Las Vegas. Une étrange histoire… L’entretien est relativement crédible bien qu’un peu léger.
Le bleu était bien sa couleur préférée mais elle n’a jamais vécu sagement. Sans cela elle n’aurait pas été Piaf, personnage hors normes, voix prodigieuse et aussi intemporelle qu’universelle, une sorte de rock star avant la lettre qui a brûlé sa vie pour son art…"
La vérité sur Edith Piaf
"L’idée de départ était simplement d’écrire une biographie d'Edith Piaf qui aille plus loin que les autres livres existant sur elle et qui cerne au plus près la vérité de la femme et de l’artiste. Cela supposait de remettre les compteurs à zéro et de tout reprendre par le commencement en allant à la recherche d’un maximum d’informations : rencontres avec les derniers témoins, lecture de quasiment tous les articles de presse et de tous les livres concernant Piaf de 1935 à 1963, consultation des archives à la Bibliothèque nationale, aux Archives nationales, aux Archives de la ville de Paris, aux Archives de la police, à la SACEM, écoute en boucle de ses disques, etc. Un travail d’investigation journalistique qui rejoint parfois celui d’un historien d’occasion.
La recherche des correspondances d’Edith Piaf (envoyées ou reçues) souvent inédites et leur mise en perspective et en situation, dans la chronologie, a souvent constitué la colonne vertébrale de mon récit qu’il s’agissait de rendre vivant et si possible passionnant.
La vie réelle de Piaf dépassant toutes les fictions imaginables, cette enquête de près de deux ans a été très excitante et souvent très amusante compte tenu de la fantaisie, de l’originalité et de la drôlerie du personnage.
J’avais précédemment écrit des biographies de "Léo Ferré, une vie d’artiste" (Actes Sud, 1996) et de "Jean Ferrat, le Chant d’un révolté" (L’Archipel, 2011) et j’avais donc une certaine expérience de l’exercice. L’ambition est chaque fois de produire une biographie de référence, la plus complète et la plus exacte possible."
Découvrez l'ouvrage-vérité de Robert Belleret, aux éditions Fayard