Faut-il manger des insectes?
Should we eat insects?
Faut-il manger des insectes?
Sale temps pour les criquets. Depuis que la FAO a publié son rapport préconisant l’élevage et la consommation d’insectes, en mai dernier, le battage médiatique autour de l’entomophagie ne cesse de gonfler. Les médias sont inondés de dépêches sur le sujet, les articles et les débats fusent. A une époque où la consommation de viande devient problématique et où le spectre du steak synthétique fait frémir, les insectes seraient la solution écolo à la faim dans le monde… Apports élevés en protéines, vitamines, minéraux, faible consommation d’eau, et très peu d’émission de gaz à effet de serre : tout est bon dans l’insecte, nous dit-on.
Selon la FAO, quelques 2 milliards d’humains (en Asie, Afrique et Amérique Latine) consomment des insectes, dont plus d’un millier de sortes sont déjà prouvées comestibles. Sur les étals des marchés thaïlandais, chinois ou mexicains, on les a vus en brochettes, en sucettes ou en montagnes de friture. Avec 10kg d’aliments de base, on peut produire 9kg d’insectes comestibles, contre 1kg de viande bovine. Alors qu’attendons-nous, occidentaux, pour nous goinfrer de ces friandises, diversifiant ainsi notre régime alimentaire et parant à l’insuffisance future des surfaces agricoles (lorsque nous serons 10 milliards sur terre) ?
Hé bien c’est que… Comment dire ? Certes, nous mangeons des escargots et des grenouilles. Pas forcément plus ragoûtant, aux yeux de beaucoup, que les coléoptères, hyménoptères et autres hexapodes. Mais pourquoi nous imposer ces bestioles, aux saveurs inintéressantes voire déplaisantes (« le goût poussiéreux du sol du grenier de ma grand-mère », « un goût de cave avec un relent de terre » m’ont soufflé d’intrépides gastronautes), qu’il faut frire et saler abondamment pour en oublier l’aspect, la texture et la saveur ? D’où vient cette soudaine tendance et avalanche de news, vantant les fabuleux mérites de l’entomophagie, alors que cela n’a jamais été notre culture ?
Phénomène de mode, pour sûr. Mais n’est-ce pas, encore une fois, prendre le problème à l’envers ? Oui, l’élevage intensif des animaux est problématique, et à terme, aussi dramatique que non-viable pour la survie de la planète. Nous consommons trop de (mauvaise) viande et de produits laitiers, et il va falloir sérieusement repenser notre diète quotidienne. Mais avant de nous mettre des cafards dans l’assiette, pourquoi ne pas envisager de réduire notre consommation de viande issue de l'élevage (manger mieux et moins) et se tourner vers des alternatives appétissantes ? Lentilles, pois, céréales diverses, soja (bio), graines germées : le monde végétal est riche en protéines, les végétariens le savent bien.
Tapenade de Lasius Fuliginosus (fourmi noire des bois)
Après les arguments nutritifs et environnementaux, c’est aujourd’hui l’aspect gastronomique que l’on nous fait miroiter. Sauterelles en salade, risotto aux vers de bambou, blattes en croquettes, bruschetta de scorpions, bonbons aux grillons… A Copenhague, le Nordic Food Lab, orchestré par le chef René Redzepi, expérimente des préparations autour des insectes (fourmis vivantes sur lit de crème, larves en ceviche) qui pourront ensuite être servies dans son célèbre restaurant Noma. Je dois avouer que j’ai récemment goûté, lors d’un séjour au Danemark, à une « tapenade de fourmis », au goût piquant et acidulé de mandarine (résultant de l’acide formique), qui m’a intriguée… comme une curiosité. Je n’en mangerai pas une bouchée de plus. Je préfère la vraie tapenade d’olive noire, avec un zeste de bigarade !
En France, deux restaurants ont fait couler beaucoup d’encre dernièrement en mettant des insectes à leur menu : l’Aphrodite à Nice, qui propose notamment de la gelée de petits pois truffée de vers de farine (photo 1) ou des croustillants de grillons au sarrasin (photo 2), dans un menu « Alternative food » à 59€. A Paris, c’est le Festin nu, à Montmartre, qui sert une série de tapas aux petites bêtes : punaise d’eau en salade d’endive et poivrons confits, sauterelles sur feuille d’huître végétale, vers à soie sandwichés entre des tranches d’avocat et de patate… Sans oublier les chocolatiers qui se sont mis à garnir leurs créations d’insectes déshydratés (et ornés de feuille d’or, s’il vous plait).
Crémeux de maïs, foie gras poêlé, croustillant de grillons au sarrasin
D’où viennent ces nouvelles denrées chic et choc ? Le Festin nu dit les importer de Thaïlande (à 500 euros le kilo), et c’est auprès de la compagnie française Micronutrisque beaucoup d’autres semblent se fournir. Démarrée en 2011, cette petite start-up du sud-ouest qui pratique l’élevage d’insectes comestibles doit avoir un sacré service de presse, pour avoir réussi à faire tant parler d’elle dernièrement. Son prix : un rondouillet 1250 euros le kilo de bêbêtes.
Bien trop cher encore pour que l’industrie agro-alimentaire s’empare du phénomène, mais ce n’est qu’une question de temps, selon certains observateurs comme le journaliste et pourfendeur de la cuisine moléculaire Jorg Zipprick :
"ce qui m’exaspère, c’est le discours des producteurs ‘on contribue à améliorer le monde’, qui se réfère toujours à l’argument qu’en 2050 il y aura 10 milliards d’humains à nourrir. Faire des affaires avec la peur de surpopulation et servir le ‘soleil vert’ de demain dans les restos haut de gamme d’aujourd’hui, c’est vraiment du foutage de gueule, peu emporte s’il s’agit d’insectes ou de ‘plats synthétiques’. Selon des études actuelles, 1 milliard d’individus souffrent de faim. Comme ils attendent des vivres, leur envoyer des insectes ou du Syntho-Food serait vu à juste titre comme cynique et inhumain. Mais au restaurant, ça devient une ‘création’, voire une ‘philosophie’. Plus c’est cher, plus c’est dans des endroits prestigieux, plus les gens en demandent. C’est en cela que l’industrie alimentaire pourrait essayer de se servir de cette mode plus tard, quand les prix auront baissés, comme on l’a vu se développer avec les ‘kits moléculaires’."
Quelques références :
Mangeons des
insectes (boutique d'insectes en ligne)
Insectes comestibles (pionnier du genre en France)
Ici une liste d’insectes comestibles, tous
plus sexy les uns que les autres